Je viens de faire un tour sur internet pour débroussailler cette histoire de métaphore. Ça m’aura au moins permis de comprendre que ce que je viens d’écrire est bourré de métaphores. Employer le verbe débroussailler dans ce contexte est « inapproprié » du point de vu descriptif. On débroussaille un terrain, on enlève les broussailles du terrain mais on ne débroussaille pas une histoire. Il y a avec l’utilisation du mot histoire une seconde métaphore, il ne s’agit pas d’une histoire mais d’un questionnement sur la métaphore. Enfin, je descelle une troisième métaphore dans ma phrase initiale quand je dis avoir fait un tour sur internet, je n’ai pas fais un tour sur internet, au sens descriptif, je suis allé cherché des informations sur internet. Pour le reste, j’ai retenu de mes recherches sur la toile que la question de la métaphore est un vaste débat qui occupe activement, aussi bien les linguistes que les philosophes, depuis l’antiquité. J’associe métaphore, image, imaginaire, irréelle, poésie, beauté, Dieu. Les auteurs que je viens de lire en disent bien plus, Queneau par exemple parle de la métaphore comme d’un « double à toute vérité » ce qui est un non-sens, ce qui ce rapproche finalement de la notion d’irréalité. On retrouve également cette dimension de « double à toute vérité » dans la citation de Victor Hugo « La métaphore, c’est-à-dire l’image, est la couleur, de même que l’antithèse est le clair obscur. » La métaphore y est associée à l’idée de beauté avec l’évocation d’une couleur que donne une métaphore. On retrouve cette dimension de la couleur liée à la beauté dans la citation de Joseph Joubert « Que chaque phraze soit pour ainsi dire teinte et légèrement imbibée. »
Est-ce à dire que pour être colorée, belle, une phrase doit être imagée, énoncer une « double vérité », un impossible, pour résumer, être métaphorique ?
Mois: août 2014
Quarante-trois
« Que chaque phraze soit pour ainsi dire teinte et légèrement imbibée. » C’est de Joseph Joubert. On trouve cette citation sur la page d’accueil du site de Thomas Vinau.
Les phrases de Thomas sont imbibées d’un nectar délicieux, on les sirote en douceur et profondeur comme les filles du bord de mer. Si vous lisez un de ses romans, surtout, prenez votre temps, rien ne presse, pour ma part j’utilise les modes « Pause » et « Review » très souvent, mais jamais le mode « Forward ». Je m’arrête sur certains passages comme on s’arrête sur un poème pour s’en délecter. D’ailleurs ses romans sont hybrides, ils tiennent du roman et de la poésie tout à la fois. Philippe Chauché en parle très bien sur son blog;
http://chauchecrit.blogspot.fr/2014/08/participe-present.html
C’est beau aussi son commentaire, il va loin également, bien en profondeur. La première phrase qu’il commente est celle-là ;
« La peur et la joie. Pile ou face. On vit toute une vie avec ça. La peur ou la joie. Etre une pièce. On tombe d’un côté ou de l’autre. On choisit, plus ou moins, de quel côté on tombe. La joie est le dos de la peur. Quand l’une s’éloigne, on distingue le sourire sur le visage de l’autre. On est les deux ».
Elle m’a évoqué Raymond Queneau quand il écrit dans son poème « L’explication des métaphores;
…
Sont-ils dieux ou démons ? Ils emplissent le temps,
Minces comme un cheveu, amples comme l’aurore,
L’émail des yeux brisés, les naseaux écumants,
Et les mains en avant pour saisir un décor
— D’ailleurs inexistant. Mais quelle est, dira-t-on,
La signification de cette métaphore
« Mince comme un cheveu, ample comme une aurore »
Et pourquoi ces deux mains hors des trois dimensions ?
Oui, ce sont des démons. L’un descend, l’autre monte.
À chaque nuit son jour, à chaque mont son val,
À chaque jour sa nuit, à chaque arbre son ombre,w
À chaque être son Non, à chaque bien son mal,
…
C’est un poème qui m’interpelle beaucoup en ces temps de réflexion sur l’imaginaire et la métaphore. Initialement j’avais prévu de le commenter mais visiblement, il faut d’abord que je débroussaille encore un peu.
Ça m’a fait penser à Queneau donc, mais aussi à Maitre Eckhart; « Aucun malheur n’est sans bonheur, aucune perte n’est que pure perte. »
Et puis ça m’a fait penser à la philosophie chinoise. La dualité de la peur et la joie renvoie au Yin et au Yang.
Thomas Vinau poursuit;
« Une pièce. Qui vole en l’air. Qui tourne. Qui tombe.
S’il n’y a rien ou personne pour lancer une nouvelle fois. On reste en bas. Le visage couché dans la poussière. L’idéal serait de rouler. Sur la tranche. C’est un idéal. Ou de rester en l’air à voltiger. Éternellement. »
Comme le soleil. Le soleil, « qui dispense l’énergie – la richesse – sans contrepartie. Le soleil donne sans jamais recevoir… »
La Part maudite (1949)
Georges Bataille
Quarante-deux
Les vers naissent comme les étoiles et les roses,
Comme la beauté dont la famille ne veut pas,
Et aux couronnes et aux apothéoses,
Une seule réponse : mais d’où me vient cela?
Nous dormons — et à travers les dalles de pierre,
De l’hôte céleste percent les quatre pétales.
Sache-le, o monde! Le poète découvre dans ses rêves
La formule de la fleur et la loi de l’étoile.
14 août 1918.
MARINA TSVÉTAÉVA
Dans l’article précédent, je disais qu’on ne pouvait pas prouver Dieu. Il est une autre chose que l’on ne peut pas prouver, c’est la beauté. Allez donc prouver que ce poème est beau ! Voilà ce que disait Jean-Claude Pirotte au sujet de la poésie;
« J’ignore comment la définir ou même en distinguer les contours mais je sais qu’elle est là lorsque je la rencontre chez Paul de Roux comme chez Thomas, Dhôtel, Follain ou Jaccottet, aussi diverse que possible, aussi unique également, comme si elle répondait à de mystérieux critères qu’elle est seule à adopter, selon les facultés également mystérieuses, et personnelles, de ses tenants.
Je crois en la poésie comme le convaincu crois en Dieu. »
C’est un extrait de son texte, aparté, que l’on retrouve commenté sur ce site à l’article 4.
II parle de la poésie comme les croyants parlent de Dieu. L’un et l’autre sont mystérieux. L’un et l’autre dépassent l’entendement. Jean Scott Erigène dit de Dieu qu’il transcende l’être. J’ai à plusieurs reprises dans les articles précédents parlé de la transgression en citant Georges Bataille. Transcender et transgresser on pour préfixe « trans » qui signifie en latin « au-delà ». La métaphore elle aussi évoque l’au-delà, « Métaphore » vient du grec metaphora, qui signifie « transport ». Voilà ce qu’en dit Aristote dans « La poétique »;
« La métaphore est le transport à une chose d’un nom qui en désigne une autre, transport ou du genre à l’espèce, ou de l’espèce au genre, ou de l’espèce à l’espèce, ou d’après le rapport d’analogie. »
La métaphore sert à dire ce que les mots « descriptifs » ne parviennent pas à dire. La métaphore cherche à dire l’indicible par le recours à une image faite de mots. La métaphore c’est le recours à l’imaginaire.
J’ai trouvé une belle formule aujourd’hui dans un texte qui commentait le livre au style très métaphorique de Thomas Vinau, « La part des nuages »; Ecrivain du réel pris sous les éclats éblouissants de l’imaginaire,… . C’est de Philippe Chauché.
La métaphore nous transporte dans un au-delà éblouissant, où la raison s’efface, où c’est le rêve qui fait la loi.
http://etc-iste.blogspot.fr/2014/08/la-part-des-nuages-par-philippe-chauche.html
Quarante et un
« Nous ne savons pas ce qu’est Dieu. Dieu lui-même ignore ce qu’il est parce qu’il n’est pas quelque chose. Littéralement Dieu n’est pas, parce qu’il transcende l’être. »
Jean Scott Erigène
Croire suppose que l’on ne sache pas. Croire c’est tenir pour vrai en se passant de preuves. Si l’on ne peut pas prouver Dieu, ça n’est pas à cause de l’insuffisance de la science, c’est que Dieu ne relève pas de la raison. Jean Scott Erigène prétends que le fait que l’on ne puisse prouver Dieu tient à ce que Dieu n’est pas quelque chose, ce qui revient à dire que Dieu est, parce qu’il n’est pas, ce qui est du point de vue de la logique, impossible. Cette phrase de Jean Scott Erigène m’évoque celle de Tertullien;
« Le Fils de Dieu a été crucifié : je n’en rougis pas, parce que c’est à rougir. Le Fils de Dieu est mort : c’est d’emblée croyable, puisque c’est inepte ; enseveli, il a ressuscité : c’est certain, parce que c’est impossible. »
Pour ces deux auteurs croyants, Dieu est impossible.
Quarante
« (…) Ainsi donc c’est en prévention d’être dieu
que moi,
Antonin Artaud
ait été martyrisé pendant les siècles des siècles
et comme étant justement cet homme, et l’homme qui n’avait jamais voulu de dieu,
et que toutes les églises ont toujours persécuté pour lui extirper son athéisme,
et c’est en prévention d’être dieu que moi, Antonin Artaud, petit-bourgeois de Marseille (…) me suis vu frappé d’un coup de couteau dans le dos le 10 juin 1916 à Marseille devant l’église des Réformés,
asphyxié d’envoûtements à mort pendant toute mon existence,
frappé en 1928 à Montmartre d’un second coup de couteau dans le dos,
puis frappé à Dublin d’un coup de barre de fer sur la colonne vertébrale,
agressé sur un navire, avec à l’avant le trou de l’ancre tout ouvert pour y faire passer mon corps,
encamisolé sur ce même navire après agression,
puis interné,
maintenu dix-sept jours en camisole avec les pieds attachés au lit,
tenu pendant trois ans au secret,
empoisonné systématiquement pendant cinq mois,
que j’ai souffert un mois de coma sous le choc du dernier empoisonnement à l’asile Sainte-Anne,
enfin passé pendant deux ans à l’électrochoc à l’asile de Rodez afin d’y perdre la mémoire de mon moi dit supra-naturel,
alors que je n’ai jamais eu deux mois mais un seul, le mien, celui d’un homme qui n’a jamais voulu entendre parler de dieu.
Alors.
Alors ?
C’est en prévention d’être dieu que j’ai été un peu partout persécuté comme un homme à travers toute ma vie,
Ici, (…) ».
Rien ne nous est plus insupportable que le néant, alors on s’invente des amis et des ennemis.
J’aime particulièrement Antonin Artaud et René Guy Cadou, deux poètes très différents dans leurs productions mais qui avaient en commun, comme l’a écrit très justement Antonin Artaud à propos des artistes en général, de chercher à s’extraire des ténèbres par la création artistique; “Nul n’a jamais peint, sculpté, modelé, inventé que pour sortir de l’enfer de la folie”. C’est avec un grand plaisir que j’ai découvert sur le site « Beauty will save the world » cet émouvant poème, plein de tendresse, de René Guy Cadou en hommage à Antonin Artaud;
Avec tes yeux comme une sonnerie bloquée Antonin
Comme un printemps foutu
Avec tes mains
Tes mains sur les barreaux de l’asile Antonin
Tes mains sur les fils électriques
Sur l’espagnolette sur la poésie partout
Antonin partout
Tes mains sur ton front pressées
Sur tous les corps de jeunes filles
Sur la campagne de Rodez
Antonin la campagne
Tu pêcherais dans la rivière
Avec une arbalète Antonin
Avec toutes les femmes
À même
À même la poésie Antonin
Et pas de camisole
Pas de frontières
Pas de répit surtout
***
René Guy Cadou (1920-1951)
Trente-neuf
« Mais enfin, tout le monde sait très bien ce que représente Dieu pour l’ensemble des hommes qui y croient, et quelle place il occupe dans leurs pensées, et je pense que lorsqu’on supprime le personnage de Dieu à cette place-là, il reste tout de même quelque chose, une place vide. C’est de cette place vide que j’ai voulu parler. […] Au fond c’est à peu près la même chose que ce qui arrive la première fois qu’on prend conscience ce que signifie, de ce qu’implique la mort : tout ce qu’on est se révèle fragile et périssable, ce sur quoi nous basons tous les calculs de notre existence est destiné à se dissoudre dans une espèce de brume inconsistante… Est-ce que… est-ce que ma phrase est finie, ou bien… ? …peut-être que si elle n’est pas finie, ça n’exprime pas si mal ce que j’ai voulu dire. »
Georges Bataille
Dans un article précédent, j’avais évoqué des exemples de modélisations du manque tel que l’espace entre les extrémités d’un arc de cercle pour Sartre, l’écart irréductible entre un polygone et un cercle pour Nicolas de Cues, et, sans en avoir donné la représentation schématique qu’en a fait Lacan, j’avais parlé de ce qu’il appelait l’objet petit a, objet qui est la cause du désir, créateur du manque. Lacan avait utilisé le « a » en référence à l’Agalma de Platon dans le Banquet. Cette référence à Platon, c’est juste pour dire que la question du manque ne date pas d’hier, que les philosophes s’évertuent à vouloir en dire quelque chose depuis au moins l’antiquité. Ce qui me frappe, c’est qu’ils n’en viennent jamais à bout. Chacun y va de son schéma, de son vocabulaire, il semble y avoir autant de représentations de ce qui nous manque que de philosophes. Je crois comprendre cependant que le vocable qui réunit ces multiples représentations du manque est le mot « Dieu ». C’est le mot fourre-tout par excellence, impossible d’en donner une définition à laquelle adhéreraient tous ses utilisateurs. Chacun s’en fait son idée quand bien même d’ailleurs, il prétends ne pas y croire. Il y a même des gens qui pensent que Dieu ignore ce qu’il est et que si il y ignore ce qu’il est, c’est parce qu’il n’est pas;
« Nous ne savons pas ce qu’est Dieu. Dieu lui-même ignore ce qu’il est parce qu’il n’est pas quelque chose. Littéralement Dieu n’est pas, parce qu’il transcende l’être. »
Pseudo-Denys l’Aréopagite
Dieu est, il n’est pas. C’est paradoxal, c’est absurde, c’est impossible, ça dépasse l’entendement, ça transcende la raison, ça me plait. Oui, ça me plait, c’est à dire que je trouve pertinent cet « illogisme ». Je trouve une parenté entre ce « non-sens » que serait Dieu et la place vide, dont parle Georges Bataille, qui subsiste quand on a supprimé le personnage de Dieu. Il poursuit, « C’est de cette place vide que j’ai voulu parler. » Oui, comme les autres philosophes que j’ai cité dans cet article et peut-être d’ailleurs, la philosophie est née de ce besoin de dire quelque chose de ce vide. Ce qui expliquerait pourquoi la philosophie va de paradoxe en paradoxe, à l’image de ce qu’elle cherche à définir. Elle est comme l’espère Georges Bataille à propos de sa phrase, sans fin.
Trente-huit
« Je n’aspire qu’à une chose, dans la mesure où je me donne encore des buts, c’est à me supprimer. Ni maintenant, ni autrefois, je n’ai pris de revolver, ni de poison. Je crois qu’il est plus amusant, il est peut-être plus lâche aussi, il est plus amusant d’essayer de se supprimer avec une gymnastique de l’esprit ou des sensations. Je crois aussi que c’est plus intéressant humainement. L’homme au fond est une histoire assez mal venue, qui a toutes sortes d’inconvénients, il est bien obligé à un certain moment d’apercevoir qu’il y a une part d’échec considérable et qu’il faudrait liquider. Mais s’il se supprime, alors il supprime tout, c’est embêtant. Il y a toujours, je crois, chez l’homme, cette nécessite de se supprimer en se conservant. »
Georges Bataille
Georges Bataille ne dit pas pourquoi c’est embêtant de tout supprimer. Mon idée, c’est qu’en supprimant tout, on supprime aussi la possibilité de se supprimer. Ce que Georges Bataille appelle gymnastique de l’esprit, c’est créer. En supprimant tout, on perds la possibilité de se supprimer, de créer, et c’est embêtant, parce ce que créer est jouissif. Ce que Georges Bataille appelle « des sensations » ça s’apparente à l’érotisme, c’est aussi jouissif. Les « inconvénients » de l’homme, c’est ce qui nous fait souffrir, c’est ce qui nous fait désirer la mort, or, si l’homme ne connaissait pas la souffrance, il n’aurait pas le désir de se supprimer, et puisque c’est ce désir qui l’amène à la création ou à l’érotisme et que la création ou l’érotisme le font jouir, on peut dire que la joie est le pendant de la souffrance. Ce texte de Bataille me rappelle la première phrase de son livre L’Erotisme; « De l’érotisme, il est possible de dire qu’il est l’approbation de la vie jusque dans la mort », on peut en dire de même de la création, elle est l’approbation de la vie jusque dans la mort. Approuver la vie jusque dans la mort, c’est se supprimer en se conservant.
Trente-sept
Rainer Maria Rilke – Pour écrire un seul vers (1910)
Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas ( c’était une joie faite pour un autre ), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.
***
Ce texte est une réponse faite par le poète à un de ses admirateur qui lui demandait comment il fallait s’y prendre pour écrire un poème. Je dirais, avec tout le respect que je dois à Mr Rilke, dont j’apprécie la poésie, et avec le peu d’expérience que j’ai dans le domaine, et patati et patata, que la réponse est à la fois beaucoup plus simple et beaucoup plus compliqué que celle qu’il donne ici. En effet, pour écrire un seul vers, il « suffit » de trouver assez de force pour ne pas se pendre. Ils ont tords les professeurs en poésie de tous poils, ceux qui disent; Il ne faut pas abuser de la rime, il faut évité de commencer avec des poésies sur le thème de l’amour (ce qu’a précisément préconisé Rilke au jeune homme qui lui avait posé cette question), il faut… et patati et patata. Un bon poème est un poème qui satisfait celui qui le compose. J’aime beaucoup ce poème de Jean-Claude Pirotte ;
travaille prends de la peine
fais des vers de mirliton
le travail amuse, le ton
donne du sel à la peine
tu dis qu’il neige écris-le
il neigera doublement
tu dis qu’il vente le vent
s’emparera de la ville
tu n’en as plus pour longtemps
mets de l’ordre dans le temps
c’est l’hiver – or le printemps
te refusera l’asile
Faire des vers, c’est donner du sel à la peine, qu’ils s’agissent de vers dits de « Mirliton » ou pas. J’aime d’ailleurs aussi ce que dit Claude Semal des vers de Mirliton; Le vers de mirliton est un art distingué et subtil, qui permet de passer pour un crétin aux yeux des imbéciles.
L’écriture, la parole, rends présent l’absent. Ici, dans ce poème, Pirotte, donne l’exemple, de la neige et du vent . Mallarmé développait aussi cette idée en prenant pour exemple, une fleur;
« Je dis: une fleur! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calice sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets. »
La peine, l’envie de se pendre, vient d’un sentiment d’absence qui nous envahit parfois. Alors, si on en a la force, on se donne de la peine, on écrit. On fait comme Rilke, Pirotte, comme Mallarmé, comme Guillevic, avec des vers à la con, on se fait poète, on rends l’absent présent;
Je t’ai cherchée
Dans tous les regards,
Et dans l’absence des regards,
Dans toutes les robes, dans le vent,
Dans toutes les eaux qui se sont gardées,
Dans le frôlement des mains,
Dans les couleurs des couchants,
Dans les mêmes violettes,
Dans les ombres sous les hêtres,
Dans mes moments qui ne servaient à rien,
Dans le temps possédé,
Dans l’horreur d’être là,
Dans l’espoir toujours
Que rien n’est sans toi,
Dans la terre qui monte
Pour le baiser définitif,
Dans un tremblement
Où ce n’est pas vrai que tu n’y es pas.
Guillevic
Trente-six
« Me revoilà, assis sur une pierre, à peine réchauffé par les premiers rayons du soleil. »
Je suis en quête du mot libérateur. Tant que je ne l’ai pas trouvé, c’est la morosité. De mon texte d’hier, ce qui me revient, ce qui reste finalement, c’est moins les correspondances que j’ai établies entre des auteurs, qui sont certes, sources de satisfaction, que le préambule à ce texte. Je ne saurais dire pourquoi. Peut-être est-ce parce j’ai saisi avec ces mots un instant particulièrement agréable, parce qu’ils me permettent de le revivre. J’ai retrouvé internet depuis ce matin, j’ai tapé dans Google, « Au Dieu inconnu », et j’ai trouvé « Agnostos Theos », sa traduction grecque et l’histoire qui va avec. 600 ans avant que Saint Paul rencontre les athéniens, un monument aurait été érigé en l’honneur de ce Dieu, alors que sévissait une épidémie. Ce que j’ai trouvé également en surfant, c’est que John Steinbeck avait écrit un roman portant ce titre, dont voici un extrait ;
» Père a été rappelé à Dieu il y a trois jours. Nous sommes tous restés près de lui, dans ses derniers moments. Tous sauf toi. Tu aurais dû attendre.
A la fin, il n’avait plus tous ses esprits. Il a dit des choses très étranges. Il parlait de toi, mais surtout il s’adressait à toi. Il disait qu’il aurait pu vivre aussi longtemps qu’il l’aurait voulu, mais qu’il désirait voir ta nouvelle terre. Il était obsédé par cette nouvelle terre. Il disait : »Je ne sais pas si Joseph aura pu choisir une bonne terre. Je me demande s’il sait faire ces choses-là. Il faut que j’aille voir. »
Et puis il a beaucoup parlé de planer en l’air au dessus du pays et il croyait qu’il le faisait. Finalement, il a paru s’endormir. Papa délirait. Je devrais taire ses paroles et ne jamais les répéter, parce qu’il n’était plus lui-même. Il parlait de l’accouplement des animaux, il disait que toute la terre était un….Non, je ne vois aucune raison de le répéter. Cela m’a troublé que ces dernières paroles n’aient pas été des paroles chrétiennes. Je ne l’ai pas dit aux autres, parce que ses derniers mots ont été pour toi, comme si tu avais été là. »
J’aurais pu choisir un autre extrait de ce livre, glané sur internet, ils mériteraient tous d’être lus. J’ai choisi cet extrait-là parce qu’il parle à la fois de l’amour filial et de l’amour de la terre, de la croyance et puis parce que c’est une lettre, et que j’aime les lettres. Elles sont parfois d’une authenticité déchirantes. Je pense que nous avons beaucoup perdu à ce niveau avec le téléphone. L’écrit nous révèle à nous-même et à l’autre bien plus que la parole. Il nous demande un effort, mais nous incline en-même temps à la méditation, à nous recentrer sur ce qui est important dans nos vies, comme l’est par exemple, l’instant que j’ai relaté en préambule à ce message. Cet instant où j’ai éprouvé comme une continuité avec la nature.
En parlant de soleil, pour que la route soit moins pesante;
La source et l’essence de notre richesse sont données dans le rayonnement du soleil, qui dispense l’énergie – la richesse – sans contrepartie. Le soleil donne sans jamais recevoir…
La Part maudite (1949)
Georges Bataille
Trente-cinq
Pour écrire, ce matin, je me suis installé aux sanitaires du camping, plus précisément sur la cuvette des toilettes. C’est à cet endroit qu’on capte le mieux la Wi-Fi, mais là, je me barre. Tant pis, si il y a encore plus de fautes d’orthographes qu’à l’habitude dans mon texte, sans l’aide d’Internet, mais je n’en peux plus d’entendre mes voisins venir pisser, péter, chier, renifler, se racler la gorge et puis cracher, de part et d’autre de mon bureau de vacances. Me revoilà sur une pierre, à peine réchauffé par les premiers rayons du soleil. C’est pas terrible non plus comme endroit à cause du défilé des employés et des vacanciers qui, en ce jour de départ, s’activent dans tous les sens. C’est pas que je raffole de ce genre de camping monstrueux mais mes enfants adorent les piscines géantes avec les toboggans géants et comme j’adore mes enfants… Le plus petit d’entre eux, 8 ans, m’a demandé, l’autre jour, si je l’aimais. Je lui est répondu avec la définition que fait Jacques Lacan de l’amour; « Aimer, c’est donner ce qu’on n’a pas », la phrase dans son intégralité étant « Aimer, c’est donner ce qu’on n’a pas, c’est même ça le complexe de castration. » Ma réponse, qui n’en était pas une, était déjà assez tordu comme ça sans que j’en rajoute avec cette histoire de castration. C’est quand même bizarre cette manière de définir l’amour par ce qu’il n’est pas ! Les théologiens apophatiques, ou pour le dire autrement, les tenants de la théologie négative, ont recours eux aussi à la négation pour définir Dieu. Déjà que je trouvais que ce que Lacan a appelé « l’objet petit a » avait une parenté avec ce que Denys l’Aréopagite, aurait nommé l’abîme du « Néant suressentiel » ! Pour vous rafraîchir la mémoire en ce 16 Août ensoleillé, et pour me faire plaisir un petit peu quand même, voilà deux extraits des actes des apôtres, c’est Saint Paul qui cause;
« Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes. Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j’ai trouvé jusqu’à un autel avec l’inscription : au dieu inconnu. Eh bien ! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l’annoncer. »
La prédication de Paul tente de s’adapter au public de philosophes qui l’écoute. Paul parle de l’unité du genre humain et de sa vocation à n’adorer que Celui en qui nous avons la vie, et le mouvement et l’être. Cela ne soulève pas d’objection dans l’auditoire jusqu’à ce que Paul parle de la résurrection :
« À ces mots de résurrection des morts, les uns se moquaient, les autres disaient : « Nous t’entendrons là-dessus une autre fois. » C’est ainsi que Paul se retira du milieu d’eux. Quelques hommes cependant s’attachèrent à lui et embrassèrent la foi. Denys l’Aréopagite fut du nombre. Il y eut aussi une femme nommée Damaris, et d’autres avec eux. »
Il y avait donc déjà des gens qui, avant le christianisme ou à ses débuts, adoraient un Dieu dont on ne pouvait rien dire, un Dieu inconnu. Ça ne me rajeunis pas ça ! Cette difficulté à définir, qu’il s’agisse de l’amour, chez Lacan ou de Dieu chez les athéniens d’il y a plus de deux milles ans, je la retrouve aussi chez Jean-Claude Pirotte à propos de la poésie; « J’ignore comment la définir ou même en distinguer les contours mais je sais qu’elle est là lorsque je la rencontre chez Paul de Roux comme chez Thomas, Dhôtel, Follain ou Jaccottet, aussi diverse que possible, aussi unique également… »
De là à dire qu’ils parlent tous de la même chose, c’est peut-être aller vite en besogne où peut-être pas ! Sur, ce, je retourne voir ma fille, histoire qu’elle ne se demande pas si je l’aime.