Un champion en chacun de nous*

Pas de poésie ce soir, juste une envie de vous raconter ma journée. Cela fait plusieurs mois que je suis en arrêt de travail pour ce qu’on appelle communément un burn-out mais je préfère le terme d’épuisement professionnel. Pourquoi utiliser un anglicisme quand notre langue arrive à dire les choses de manière encore plus explicite ? Cinq mois de remise en question, cinq mois que je me dis du fond de ma profonde dépression « Cela fait trente ans que tu es un imposteur, que tu trompes ton monde, tu n’apportes rien aux personnes dont tu t’ai occupé, tout juste es-tu bon pour amuser la galerie. » J’ai failli jeter l’éponge, je suis même allé dans une entreprise de transport pour demander la marche à suivre pour conduire des bus me sentant peut-être quand même capable de gagner désormais ma vie comme chauffeur, j’arrive bien à conduire ma voiture alors pourquoi pas un autocars, c’est juste un peu plus grand ? Je croyais aller en marche avant avec cette initiative, sortir d’un métier qui n’était pas fait pour moi et puis ce soir, je me dis que je faisais marche arrière. Que s’est-il passé entre temps ?

Cette après-midi j’ai repris mes rééducations auprès des enfants. C’était pour moi le vrai test, le moment de vérité, est-ce que j’allais être à la hauteur ? Je n’avais participé jusqu’alors, mardi et ce matin, qu’à des réunions, ça c’était bien passé, je m’étais senti dans le coup à partir du moment où, passé le temps des informations générales déprimantes du genre « Il faut préparer l’évaluation interne » on avait parlé des enfants.

Une petite remarque avant de poursuivre ; mon ennui à propos du premier sujet, vient que l’on passe un temps fou dans les évaluations. Récapitulons : évaluation de l’agence régionale de santé, évaluation externe (par un organisme privé que l’on choisi et que l’on paie, objectivité garantie…), évaluation interne (par nous-même, objectivité maximale…), démarche qualité… Ajouté à cela que nous subissons des formations obligatoires sur les soi-disant nouvelles méthodes éducatives pour la prise en charge des autistes, venues évidement des amériques (gage de crédibité !), mais qui n’ont jamais fait leurs preuves, même outre-Atlantique on en revient petit à petit. Ah ! je pourrais en dire sur le sujet, des kilomètres et des kilomètres, je crois même que j’aurais de quoi écrire un livre. Ça me taraude l’esprit des fois de le faire pour dénoncer le lobbying de certaines associations sur les politiques pour que l’état finance « les plans autisme » que l’on devrait plutôt appeler « les bons plans autismes » tant l’argent récolté profite à ces associations et aux organismes de formation qui leurs sont liés ainsi qu’aux vendeurs de méthodes en tout genre, de matériel hors de prix, de tests… bref, le business de l’autisme est devenu un secteur très rentable. Si jamais il y a parmi les gens qui me lisent un journaliste, je l’invite à faire une enquête sur le sujet, il passerait sans doute pour un salaud, mais ça en vaudrait vraiment la chandelle. Il ne faut pas croire qu’il n’y a que les laboratoire pharmaceutiques ou les pétroliers qui fassent pression sur ceux qui ont la responsabilité des finances publics.

J’en reviens à mon après-midi. Quand les enfants m’ont vu, la plupart m’ont témoigné de leur affection en m’interpellant avec des grands « VINCENT !!! » ou en se jetant dans mes bras, en me serrant contre eux. Particulièrement un, un petit dur, très dur même. J’ai su que pendant mon absence il s’était impatienté de me voir revenir et a demandé avec sa gouaille habituelle à la psychologue « Mais il est où Vincent, il est mort ou quoi ! ». Un autre a témoigné de la même manière de son affection, il avait des étoiles dans les yeux quand il m’a vu et il a dit ; Apait dodo, véo, véo, en me montrant le local à vélo. Je l’emmène faire un grand tour de vélo tout les jeudi après-midi. Je lui ai d’abord appris à pédaler sur une bicyclette et depuis un an nous sillonnons les routes de campagne dans le but de lui apprendre à rouler en sécurité, des choses qu’intègrent très rapidement un enfant ne souffrant pas d’un handicap mental, à eux par contre, tenir sa droite, comprendre la signalisation de base, lever son bras dans le sens dans lequel on veut tourner leur demande des mois de travail. Il m’est arrivé de passer un an et demi à apprendre à un enfant de seize ans à faire du vélo à raison d’une séance par semaine, hors vacances scolaire. J’en ai bavé, mais l’apprenti était fier comme un pape le jour où il a traversé pour la première fois l’IME sur son vélo. Ses camarades le voyant sont sortis de leurs salles de classe pour l’applaudir et l’encourager. Pour son père je n’étais pas un intervenant comme un autre, j’étais celui qui avait appris à son fils à faire du vélo. Ma remplaçante m’a confiée ce matin qu’un des enfants à qui j’ai aussi appris à utiliser une petite reine lui a dit la même chose de moi, « Vincent, c’est celui qui m’a appris à faire du vélo », il faut dire que depuis il va faire des tours avec les gamins de sa rue sur le vélo que son père lui a acheté pour Noël. Il faut imaginer ce que ça représente pour lui qui jusqu’alors se contentait de les suivre avec envie du regard ! Voilà ce que je fais, je leur apprend à gagner le peu d’autonomie dont ils sont capable. Je ne prétend pas faire de miracles, je ne trompe personne en fait, c’est le contraire, les escrocs ce sont les vendeurs de méthodes sois-disant miraculeuses comme la méthode ABA, ou la méthode d’intégration sensorielle. Si je fais un miracle c’est de leur faire découvrir qu’il y a un champion en eux.

* »Il y a un champion en chacun de nous », Slogan de Spécial Olympcs France

Travailler à ne pas travailler

« Le travail c’est du temps transmuté en argent, l’écriture c’est le même temps changé en or. Tout le monde est contraint de travailler pour trouver de l’argent pour vivre. Personne n’est obligé d’écrire. Cette absence de contrainte apparente plus l’écrivain à un enfant qui joue, qu’à un homme qui travaille – même si ce jeu est nécessaire à la vie pour continuer d’être vivante. S’il y a un lien entre l’artiste est le reste de l’humanité, et je crois qu’il y a un lien, et je crois que rien de vivant ne peut être créé sans une conscience obscure de ce lien là, ce ne peut être qu’un lien d’amour et de révolte. C’est dans la mesure où il s’oppose à l’organisation marchande de la vie que l’artiste rejoint ceux qui doivent s’y soumettre : il est comme celui à qui on demande de garder la maison, le temps de notre absence. Son travail c’est de ne pas travailler et de veiller sur la part enfantine de notre vie qui ne peut jamais rentrer dans rien d’utilitaire »

Christian Bobin, L’épuisement, p 46 – 47.

Stampe by me (suite et fin)

Son premier mouvement fut d’entrouvrir les yeux.
Leurs iris marron bleu cherchèrent ceux de l’homme
Qui aimait l’emmener dans les aérodromes
Pour danser en biplan sous l’auspice des cieux.

Sa présence eut sur elle un effet merveilleux,
Les docteurs l’appelaient « Le plus puissant des baumes »,
Quand il frôlait sa joue du creux de sa paume
Son visage affichait un sourire radieux.

Ses progrès furent jugés en tous points remarquables,
Mais certaines actions restèrent impraticables,
Elle pouvait alors compter sur son ami.

Se hisser dans l’avion, pour donner un exemple,
Tandis qu’il l’y portait contre son torse ample,
Elle lui murmurait « Amour, Stampe by me ».

Stampe by me (suite)

L’accidentée n’avait aucune réaction,
Bien qu’on la stimulait de l’aube au crépuscule.
Plus les mois défilaient, plus étaient minuscules
Les chances de la voir entrer en relation.

Devant la gravité de la situation,
L’équipe soignante, lors d’un conciliabule,
avait même songé à ôter la canule
qui était nécessaire à sa respiration.

On n’attendait plus rien des traitements chimiques,
L’unique espoir était qu’un choc psychologique
de grande intensité provoqua son réveil.

L’ex-amant s’envola sur le champ d’Australie
Quand il fut prévenu qu’on craignait pour sa vie,
Un baiser de ses lèvres abolit son sommeil.

Mirabelle en bateau

C’est la fin de l’automne, il va falloir rentrer
dans l’étable puante et patiemment attendre
que l’hivers s’éloigne pour fouler l’herbe tendre,
songe Mirabelle toute prête à pleurer.

Pour chasser sa peine, le bovin éffondré
rejoint tête baissée les abords du méandre
d’un tranquille cour d’eau, pour aller s’y étendre,
le seul secteur du pré qui n’est pas clôturé.

Lui vient alors l’idée d’aller sur l’autre rive.
Craignant de se noyer pendant la tentative
La vache se hisse sur un vieux dériveur.

Mais le peu de courant mène la flibustière
loin du bord opposé de la douce rivière,
au beau milieu du lac où pèche l’éleveur.

Lorsque j’écris…

Lorsque j’écris, je ne fais rien d’autre que d’arpenter mon trottoir.
Mon stylo est une paire de Jimmy Choo.
Des talons hauts, pour marteler les mots.
Ecrire, c’est faire la pute de façon très mondaine.
S’écarteler jusqu’au tréfonds de soi.
Et emballer ses tripes dans un papier de soie, pour faire joli.
Que suis-je, sinon ce quartier de viande pendu à l’étal d’une boucherie.
Ecrire, pour moi, c’est cela.
Tout montrer, jusqu’à l’indicible, et se rhabiller, les larmes aux yeux.

A.