Je répond dans ce billet à une question qui m’a été posée par un nouveau lecteur de Comme un cheveu.
« Ce mysticisme que tu évoques souvent, directement ou en filigrane dans nombre de tes textes, est-il une transcendance de l’humain ou une ascèse vers un au-delà ?
Je ne comprends pas le sens de ta question, mais je vais y répondre… Je me suis intéressé aux mystiques pour leurs poésies. La première d’entre elle était une poésie de Sainte Thérèse d’Avila que j’ai trouvé dans mon livre de philo de terminale. Elle m’a tapé dans l’œil, je l’ai apprise par cœur. Je précise que sur le plan religieux, je suis allé jusqu’à la première communion, le minimum syndical dans ma famille, et j’ai lâché l’affaire. Au-delà de ça, je l’exprime dans cet article,
https://misquette.wordpress.com/2015/01/31/168-lettre-ouverte-a-lorant-deutsch/
le religieux prends souvent l’allure pour moi, de quelque chose qui enferme, de mortifère mais il me semble que pour certains religieux, dont font partie « les mystiques », à l’inverse, la religion est quelque chose qui me semble être, l’expression de la liberté à son paroxysme. Je reviens à ta question. C’est ce poème de Sainte Thérèse qui m’a touché,
SUR CES PAROLES « DILECTUS MEUS MIHI »
Tout entière je me suis livrée et donnée
Et j’ai fait un tel échange
Que mon aimé est à moi
Et je suis à mon aimé.
Quand le doux Chasseur
Eut tiré sur moi et m’eut vaincue
Dans les bras de l’amour
Mon âme est tombée,
Et recouvrant une vie nouvelle
J’ai fait un tel échange
Que mon aimé est à moi
Et je suis à mon aimé.
Il m’a tiré une flèche
Empourprée d’amour
Et mon âme transformée
Fut une avec son créateur ;
Puisqu’à mon Dieu je me suis livrée,
Mon aimé est à moi
Et je suis à mon aimé.
D’autres textes de mystiques m’ont interpellé ensuite, ceux de Saint Jean de la Croix, de Hadewijch d’Anvers, par exemples ou encore de Marguerite Porete.
Voici un extrait que j’aime particulièrement d’une poésie de Saint Jean de la Croix, Le cantique spirituel;
Quand tu me regardais
tes yeux venaient graver ta grâce en moi
c’est pourquoi tu m’aimais
et les miens méritaient
d’adorer ce qu’en toi ils voyaient.
Ça n’est pas seulement la poésie des mystiques Chrétiens qui me plaît, je l’aime, quel qu’en soit la provenance, exemples celle de ce poète arabe, Al-Hallaj, l’équivalent musulman de Marguerite Porete puisqu’il a été, comme elle, assassiné par le pouvoir religieux pour avoir refusé de retirer des propos jugés comme hérétiques, en l’occurrence « Je suis la Vérité (Dieu) » (« Ana al haqq »). Voilà une de ses poésies,
Informe la gazelle, ô brise, dans ta course,
Que ma soif est accrue quand je puise à sa source !
Et cette Bien-aimée, dans mes boyaux soustraite,
Si Elle le voulait, courrait sur mes pommettes !
Son esprit est le mien et le mien est le Sien,
Ce qu’Elle veut je veux et mon vœu Lui convient !
Il y a également la poésie des mystiques athées qui m’interpelle, telle celle de Georges Bataille, à qui je fais une large place sur ce blog, mais également celle de ce poète moins connu, Cafarete, que je découvre tout récemment,
Où vais-je?
A ma rencontre.
C’est une route périlleuse. Un but difficilement accessible. Il y faut un entêtement commandé par l’angoisse.
Où tout doit se confondre.
in Paraphe, p.71
Calaferte
Ou encore ce poème « D’un seul trait », d’un auteur anonyme, que j’ai publié dans l’article précédent. Je m’arrête là pour les exemples.
Qui a t’il de commun à ces poésies ?
« Fut une avec mon créateur » pour Sainte Thérèse d’Avila,
« graver ta grâce en moi » pour Saint Jean de la Croix,
« Son esprit est le mien et le mien est le Sien, » pour Al-Hallaj,
« La certitude incandescente / me pénètre et me consume », pour la poétesse anonyme,
« Où tout doit se confondre » pour Calaferte.
A chaque fois il y est question d’une fusion ressentie ou recherchée, on parle pour les religieux de « la mystique Nuptiale » ou de la « mystique Unitive ». Il me semble que l’état le plus élevé du bonheur suppose une dépersonnification. Le terme est ambigu, car il est également utilisé en psychiatrie pour évoquer les troubles de la personnalité, disons plutôt que pour toucher au bonheur, il faille mourir à soi-même, et laisser la place à quelque chose d’Autre (la majuscule à Autre n’est pas une faute de frappe), un non-soi qui est soi. Je crois que pour décrire cette chose, ce « je ne sais quoi » dont parle Saint Jean de la Croix, (expression également utilisée par Hadewijch d’Anvers, bien avant lui…) on ne peut employer que ce genre de formules paradoxales. Une de ces formules paradoxales me vient à l’esprit, celle de Rimbaud, « Je est un autre », il ajoute « J’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute… ». Alors à ta question, que finalement, grâce à ces développements, je crois comprendre, je réponds que le mysticisme que tu entrevois, fort justement, au travers de mes lignes, c’est les deux a la fois; c’est une transcendance, car il s’agit d’un dépassement, quelque chose, un autre pour Rimbaud, Dieu pour les religieux (c’est alors une transcendance de l’humain) vient à la place de soi, mais c’est également « une ascèse vers l’au-delà » dans le sens où cet « au-delà » est un au-delà de soi, un Autre ou l’autre, comme tu voudras, un espace insondable, infini. L’ascèse, consiste, en ce qui me concerne, à faire ce que je viens de faire, à écrire.
Illustration, Autographe de René Magritte