Quelle torture! Je viens de lire cette citation d’André Malraux rapportée par Gilles Deleuze : « L’art c’est la seule chose qui résiste à la mort. », elle m’en rappelle une autre que j’ai trouvée récemment, mais je n’arrive pas à remettre la main dessus et c’est une souffrance parce que j’entrevois que l’association que je pourrais faire des deux serait jouissive. Pas moyen de la retrouver, je fouille dans ma mémoire, dans mes notes, rien. Je ne sais même pas si il y est question de l’art ou de la mort ou des deux, je sais simplement que mon esprit l’a appelée. Je fulmine. J’ai lu hier un poème qui m’a interpellé aussi. Soit dit en passant, c’est marrant cette expression en parlant d’un poème « Il m’a interpellé » comme si un poème, une œuvre d’art, était une personne vivante. En fait, si je vous parle de ce poème c’est parce que je veux retrouver cette foutue citation, j’espère qu’en laissant se dérouler ma pensée en arriver à elle. Voici le poème en question, la photo ci-dessus l’accompagne,
Interrogation écrite
l’énigme
elle brille sur la pluie
je la ramasse
parmi les bogues de châtaigne
elle n’a pas de piques
glisse entre mes doigts
gorgée de nuit
salope et splendide
chez moi
décor énigmatique
pour une farce en un tableau
j’entre en scène
costume transparent
vertige de l’intime
je cache le mystère
sous mes mains
il est brûlant
mon premier est tu
mon tout c’est toi
charade du désir
mais où es-tu
j’erre dans l’interrogation
tandis que l’énigme
aux ocelles asthéniques
volette dans le temple
cherche son chamelier
pour lundi vous découvrirez
la définition de l’énigme
vous me ferez dix lignes
d’incertitude
Henriette
https://entrepoetique.wordpress.com
Si j’y pense à l’instant, c’est peut-être parce que je suis justement à la recherche de quelque chose et que dans ce poème il est question aussi d’une recherche. Ce qui m’a frappé au premier abord, c’est que l’énigme n’est pas posée. L’auteur ressent la présence d’une énigme sans pouvoir la formaliser. Il y a incertitude sur ce qu’est l’énigme, elle est ineffable comme les vents qui ont ailé par instants Arthur Rimbaud.
Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants.
— (Arthur Rimbaud, Le Bateau ivre)
Tout ce que l’auteur peut en dire, c’est qu’elle est là, une présence, « salope et splendide ».
L’énigme est personnifiée;
mon premier est tu
mon tout c’est toi
charade du désir
mais où es-tu
L’énigme est désirée;
je cache le mystère
sous mes mains
il est brûlant
L’auteur brûle de désir pour cette énigme comme on désire avec ardeur un amoureux. L’énigme dont il est question ici est comme l’amour, « salope et splendide » qui, selon les mots d’Hadewijch D’Anvers, peut éprouver et surcombler dans une même étreinte.
« l’Amour peut éprouver / Mais aussi surcombler / Dans une seule et même étreinte »
Ça y est, j’ai retrouvé la citation que je voulais associer à celle de Malraux « L’art c’est la seule chose qui résiste à la mort. », elle est de Cesare Pavese « L’art est la preuve que la vie ne suffit pas. ». La mort est là, dans la vie, si nous ne lui résistons pas, si nous ne créons pas, elle nous étreint. La mort n’éprouve, ni ne surcomble, elle anéantie. Je ne parle pas d’un anéantissement matériel, de la mort réelle, enfin de la mort biologique, je parle de la mort dans la vie, la seule que nous ayons à redouter, celle qui est anéantissement de l’énigme, anéantissement du désir, anéantissement de l’amour.
Créer, c’est tuer la mort, par instants.