223. La vie en rose

Hier, un ami qui compose des poésies me dit que lorsqu’il a commencé à en écrire, elles étaient « nulles ». J’ai réagi immédiatement, « Oh non ! Ne dis pas ça ! ». Je m’interroge ce matin sur ma réaction, pourquoi ce mot « nulles » a-t’il soulevé en moi cette indignation? Ça ne me ressemble pas d’enjoindre quelqu’un à se taire, ma réaction me surprend. Il arrive que des personnes visitent mon blog et y laissent des « likes » ou des commentaires sur ce que j’y met. Souvent, à mon tour, je vais visiter leur blog et souvent, aussi, je suis agréablement surpris par la qualité de ce que j’y lis, une question me vient alors presque systématiquement, « Comment ce peut-il que des esprits aussi subtils puissent s’intéresser à ce que j’écris ? ». Si vous me lisez régulièrement, vous savez que j’ai un problème avec l’intelligence. Je fais souvent allusion dans mes billets à ma scolarité marquée par mon sentiment d’être « limité » sur le plan intellectuel. J’avais des raisons de le penser, outre mon double redoublement, beaucoup de mes enseignants mettaient sur le compte de problèmes cognitifs la faiblesse de mes performances scolaires. Depuis, j’ai fais des études supérieures, pour une part par correspondance, on vante ma capacité d’analyse.., etc… bref, je devrais être débarrassé de ce complexe d’infériorité qui m’habitait enfant, mais j’ai l’impression qu’il est toujours là, au coin du bois. J’ai gravé dans ma mémoire le résultat d’un test de QI réalisé par un enseignant alors que j’avais une dizaine d’année. C’est un diagramme en forme de toile d’araignée, plus la personne testée a une intelligence élevée, plus la toile d’araignée est grande, la mienne était minuscule et à la rubrique « Qualités », l’instituteur avait même inscrit « Néant ». Je suis sensible à la cause des personnes handicapées mentales au point que mon activité professionnelle et parfois extra-professionnelle leur est consacrée, je pense que c’est parce que je m’identifie à eux du fait que je me suis cru déficient intellectuel et que j’en ai souffert. Je n’aime pas le qualificatif nul quand il se rapporte à un individu ou à ce qu’il produit. Nous ne sommes pas à l’abri des jugements des autres, ils nous affectent. Nous différons en cela de la rose d’Angélus Silésius,

La rose est sans pourquoi ; elle fleurit parce qu’elle fleurit,
N’a souci d’elle-même, ne cherche pas si on la voit. »

selon Martin Heidegger;

« L’homme diffère de la rose en ce que souvent, du coin de l’œil, il suit avidement les résultats de son action dans son monde, observe ce que celui-ci pense de lui et attend de lui. Mais, là même où nous ne lançons pas ce regard furtif et intéressé, nous ne pouvons pas, nous autres hommes, demeurer des êtres que nous sommes, sans prêter attention au monde qui nous forme et nous informe et sans par là nous observer aussi nous-mêmes. »
« Le Principe de raison » Gallimard, n° 79, 2013, p.107

Les autres ont une responsabilité envers nous et nous en avons une envers eux, que nous le voulions ou pas et l’homme n’a pas à se plaindre de cela, au contraire, il devrait se réjouir de ne pas être une rose. Tout le bonheur de l’homme dépends de l’exercice de cette responsabilité. Je ne me sens jamais si heureux que quand j’amène un de ces autres à se sentir fier de lui. Se sentir responsable du bonheur des autres, c’est ça la vie en rose.