Hier, au boulot, j’apprenais à des enfants à faire du vélo tout en lâchant une main du guidon de manière à ce qu’ils puissent indiquer leurs changements de direction lorsque nous empruntons la route lors de nos sorties hébdomadaires. Avec eux tout apprentissage ce fait pas séquences très détaillées sur lesquels on revient un nombre incalculable de fois car ils présentent tous des difficultés importantes sur le plan de la coordination et qui plus est certains d’entre-eux souffrent de sensations très importantes de vertige. Il ne s’agit pas du simple vertige que la plupart des gens éprouvent quand ils se trouvent à l’aplomb d’une falaise mais d’un vertige qui les fait paniquer pour peu qu’ils doivent descendre une pente d’une très faible inclinaison au point qu’ils s’assoient souvent au sol pour franchir la moindre déclivité.
À force de travail et de patience, j’ai réussi à leur apprendre à faire de la bicyclette, une affaire qui peut prendre parfois un an ou deux à raison d’une séance d’une demi-heure par semaine. Pour apprendre à lâcher le guidon, ils ont commencé par apprendre à desserrer leur main autour de la poignée, puis à étendre leurs doigts tout en restant en contact avec le guidon, puis à décoller la main très brièvement d’abord puis par séquences de plus en plus longues. La semaine dernière nous en étions à éloigner la main du guidon pendant une dizaine de seconde.
Hier donc, il s’agissait de surcroit de l’éloigner du corps. À un moment une élève a réussi à mettre son bras à l’horizontal pendant quelques seconde, son vélo a fait un léger zig-zag mais elle est parvenue à ne pas perdre l’équilibre. Un sourire à remplacé rapidement une crispation de peur sur son visage. C’était parti, sans que j’ai besoin de l’encourager d’avantage elle tentait de reproduire ce geste jusqu’à ce qu’elle arrive à maintenir une dizaines de secondes son bras en l’air. Je la voyais de dos lorsqu’elle y est parvenue aussi je ne peux vous dire ce que l’on pouvait lire sur son visage mais je me doute qu’elle souriait car j’ai entendu de timides puis de plus affirmées exclamations de joie au fur et à mesure qu’elle réalisait qu’elle maîtrisait ce geste. Je n’exagère pas, c’était de la joie. Une joie communicative. J’étais joyeux de la voir joyeuse. J’en aurais chialé. J’avais envie de rameuter tout l’établissement pour qu’un maximum de monde l’entende exprimer sa fierté et son plaisir, pour qu’ils partagent eux aussi son bonheur.
Je me « bagarre » souvent au travail contre des directives pédagogiques liées aux différents plans autismes. Je risque ma place par mon refus d’appliquer certaines « Recommandations de bonnes pratiques » comme ils les appellent. Parmi elles l’utilisation de « renforçateurs alimentaires ». C’est à dire qu’il s’agit pour motiver les enfants à faire un exercice de leur donner un bonbon quand il réalise l’action demandée. Dans les cirques on fait de même avec les ours, les pingouins, les singes et j’en passe, c’est du dressage. Cela indigne de plus en plus de gens que l’on dresse les animaux, que diraient-ils si ils savaient que l’État français recommande de faire de même avec des humains ? (voir les recommandations de bonnes pratiques de l’Haute Autorité de Santé pour l’autisme, quand elle préconise la méthode ABA par exemple).
Peu m’importe que les enfants disent « Bonjour » ou qu’ils fassent un puzzle de quatre pièces parce qu’ils savent qu’au bout ils auront leur friandise, tout juste aurons nous réussi à les isoler encore un peu plus d’eux-même et de nous. À l’inverse je m’efforce de les accompagner dans leur désir de grandir, de se réaliser, comme on le fait avec n’importe quel enfant à moins de vouloir en faire un robot. Je me moque qu’ils ressemblent ou pas aux enfants dits normaux, qu’on puissent les emmener au restaurant sans qu’ils bougent une oreille à force de conditionnement, je veux qu’ils se sentent fier d’eux-même, qu’ils s’aiment.