Lorànt,
Quand j’ai lu dans une interview que tu as déclaré à la suite de la publication de la nouvelle caricature de Mahomet que « La liberté d’expression est totale, dans le respect des lois de la République. Mais on devrait réfléchir au délit de blasphème, qui a été aboli », trois mots me sont venus à l’esprit,
Deutsch
Daesh
Dèche
Ensuite, comme tu parlais dans le reste de l’article de ta croyance et que tu en avais plein la bouche, j’ai pensé à un très vieux Monsieur avec qui j’ai voyagé pendant quelques jours sur le bateau de son association. Ce très vieux monsieur s’appelle Michel Jaouen. C’est un homme d’église, un père Jésuite. Il a consacré sa vie aux jeunes en difficulté, en commençant par ceux qui sortaient de prison. Il emploie d’ailleurs les même mots qu’Amédy Coulibaly, le terroriste de l’hypercacher, pour parler des prisons, « école du crime », et puis il a élargi son action auprès des toxicomanes, la drogue est aussi une prison, une prison de l’esprit. J’ai navigué avec lui pendant une quinzaine de jour. J’aimais nos discutions. Une fois que je m’étonnais auprès de lui de ne pas voir de signes religieux sur le bateau, alors qu’il est Jésuite, il m’a répondu; « Pourquoi veux-tu que je fasse chier ( je ne suis plus sûr du terme, mais le sens était celui-là, aussi fort) les autres avec ça, c’est mon truc, il y a une statuette de Marie dans ma cabine et c’est tout, ce qui m’importe c’est qu’on mange ensemble, pas chacun dans son coin ». Il ne faisait pas de grands discours dégoulinant sur l’amour, le respect, pas de bondieuserie, il faisait en sorte que l’amour soit présent en venant en aide à ceux qui souffraient, et en faisant se rencontrer des personnes de toute condition, « Le mélange, le mélange, j’te dirais qu’il n’y a que ça qui marche ». Il y a encore deux ou trois ans, en passant près des locaux de son association, je l’ai vu, au milieu de jeunes, genre Amédy Coulibaly, genre « Me casse pas les couilles », à débroussailler un terrain. Il avait 92 ans. C’est un homme qui n’a jamais choisi le chemin de la soumission. Il a été un résistant de la première heure, ses faux-papiers étaient au nom de Jean le cœur. Pour beaucoup de croyants, Dieu est un maître, auquel il faut obéir, se soumettre. Malheureusement, les personnes qui se soumettent jalousent la liberté des autres, ils ne supportent pas de voir les autres libres alors qu’eux-même sont incapables de l’être, alors ils tentent par tous les moyens de les soumettre, ainsi comme toi, Daesh et consorts, veulent que les insoumis, ne le restent pas, ils veulent que le blasphème soit réprimé. Le Dieu du père Jaouen, n’est pas un Dieu de domination, il n’y a chez lui aucune volonté de convertir ou de brider la parole de ceux qui embarquent avec lui. C’est une des choses qui m’a marqué à l’occasion de cette aventure, principalement humaine, ces nombreux débats, très animés, sur tous les sujets, même et surtout sur les sujets sensibles comme la politique ou la religion. Une liberté de parole que j’ai rarement retrouvée ailleurs. Chacun avait le droit d’affirmer ses convictions, et lui ne s’en privait pas, parfois même, il était à la limite de la mauvaise foi, pour un homme d’église, t’avoueras, que c’est un comble… Tu dis également dans l’interview, « Je suis juste quelqu’un qui croit en Dieu et qui ne l’impose à personne. Si vous n’êtes pas croyant, OK, mais ne m’interdisez pas de croire, et ne vous foutez pas de ma gueule. Je dis juste : écoutons-nous les uns les autres, et on s’en sortira. » Au demeurant, personne ne t’empêche de croire, en tout cas pas ceux qui dessinent le Christ ou Mahomet dans les positions les plus scabreuses, tu te trompes de cible. Toi, par contre, tu veux empêcher les autres de s’exprimer au nom d’un soi-disant respect de ta foi. Respecter les croyances, ça n’est pas ne pas rire des croyants et des croyances. Respecter les croyances, c’est accepter que chacun ait son intimité, sa cabine dans laquelle il vénère qui il veut, ça s’appelle la liberté de culte, c’est aussi faire en sorte que chacun puisse exprimer ses convictions religieuses, ça s’appelle la liberté d’expression. La liberté d’expression est totale, comme tu le rappelles fort justement et paradoxalement par rapport à la suite de ton propos, elle permet de blasphémer, mais aussi donc, elle te permet de pratiquer ta religion ouvertement. En demandant le rétablissement de l’interdiction de blasphémer, qui a été aboli avec la révolution française, tu intentes à la liberté d’expression et donc à ton droit de vivre ta foi ouvertement, ça s’appelle scier la branche sur laquelle on est assis. Les dessinateurs de Charlie Hebdo sont les « Jean le cœur » de notre temps, j’admire leur courage, ils nous sauvent de la « dèche ».
Quand tu veux on mange ensemble.
Bien à toi.
Vincent
Ps; « On ne parlait pas souvent de la foi, elle l’avait et quand on l’a, on n’a pas besoin d’en parler ». Michel Jaouen à propos de Florence Artaud.