Fou

220px-Francisco_de_Zurbarán_autoportrait
Autoportrait présumé de Francisco de Zurbarán. Extrait de Saint Luc en peintre devant la crucifixion, 1635-1640.

Souvent on entend dire de lui qu’il est fou
Sa vie ne ressemble pas à celle des autres
Du pur amour il se prétend être l’apôtre
Devant lui seul il aime se mettre à genou

Mais il ne s’en sent pas prisonnier pour un sou
Epris de liberté en son sein il se vautre
Nous faisons de cette dure quête la nôtre
Eluard ne fait pas exception pour le coup

« Je suis né pour te connaître / Pour te nommer  »
Même le pire tyran va s’en réclamer
Se croyant libre alors qu’il est son propre esclave

Puisque soumis à ses insatiables pulsions
Contre elles « le fou » a sonné la rébellion
On ne peut être libre que si l’on s’entrave

 

Oh! Calcutta!

thJ3FKYLGY

Un soir que j’étais en croisière sur le Gange,
Je remarque une passagère très sexy,
Ses belles fesses chaloupent sous son sari.
Elle me lance un regard mi-démon mi-ange.

Intimidé, je n’ose prolonger l’échange,
La contemplant de nouveau elle me sourit,
S’approche de moi et me demande en hindi ;
« Si je bois un verre avec vous, ça vous dérange ?».

Trois bières plus tard elle danse sur le bar,
Déhanchant son pétard sur un air de sitar,
Très haute pression au fond de mon caleçon.

N’en pouvant plus je la saisis dans mes bras et
Je m’écrie « Oh ! Quel cul t’as ! » Elle me répond ;
« Impossible, on vient juste de quitter Bombay »

Sur la colline

images-12

La flamme du haut fourneau danse dans la nuit
L’enfant la regarde du haut de la colline
La langue de feu rouge-orangée le fascine
Les cloches de la chapelle annoncent minuit

A cette heure il devrait être rentré chez lui
Une montée d’angoisse serre sa poitrine
L’exaspération de ses parents il devine
C’est la troisième fois en un mois qu’il s’enfuit

Le fugueur ne veut plus retourner à l’école
L’instituteur, coups de pied et gifles il lui colle
Car il passe la plupart de temps à rêver

Dans le bourg le son d’une sirène s’élève
La police recherche le mauvais élève
Autour du cou un noeud coulant il fait glisser

Que ma joie demeure

La porte d’entrée est fermée à double tour,
Seul dans la maison, l’homme met de la musique
Et s’installe face à ses enceintes acoustiques,
Histoire de jouir de la fin de ses jours.

Ce matin a débuté le compte à rebours,
Le docteur lui a annoncé, catégorique,
Que de nombreuses cellules métastatiques
Proliféraient dans ses poumons et alentours.

Sur la platine « Jésus que ma joie demeure »,
Cette phrase lui est revenue tout à l’heure
En apprenant les résultats des examens.

La beauté des accords de Bach le bouleverse,
Les yeux fermés, des larmes de bonheur il verse,
Puis les essuie avec le revers de sa main.

L’aigle bicéphale

 

 

sade-2
Blason du marquis de Sade

 

Dans un nid douillet nait une aigle bicéphale
Ses parents ne donnent pas cher de sa survie
Mais la petite petit à petit grandit
Sa courbe de croissance est normale

Elle n’a pas non plus d’anomalie mentale
Même si son encéphale est en deux parties
Chacune d’elle possède son propre abri
Chapeauté par une couronne impériale

L’un est la résidence du comportement
(C’est le lieu où s’élabore le jugement
Qui détermine notre relation au monde)

L’autre du talent et de l’imagination
Entre les deux il n’y a aucune liaison
Ainsi de grands artistes peuvent être immondes

images-10
Marquis de Sade

Etre ou ne pas être

2 oiseaux 3 étoiles
Marc Sinniger

Deux jeunes oiseaux se sont lancés un défi
S’élever jusqu’à pouvoir toucher une étoile
Un soir où la brume ne formait pas un voile
Les aventuriers s’envolent seuls dans la nuit

Tout au début ils ont la mine réjouie
Au dessus d’eux le ciel ressemble à une toile
À y chercher les constellations ils se poilent
Mais en montant l’oxygène se raréfie

L’un des deux décide de stopper là sa route
L’autre veut la continuer coûte que coûte
Il est mort sans avoir atteint son objectif

Le premier a retrouvé le plancher des vaches
Il se reproche parfois d’avoir été lâche
Quand d’exister il ne perçoit pas le motif

Tristes tropiques

Le vent emporte la case en fibro-ciment
Des débris s’écrasent dans la terre boueuse
Le pécheur a senti l’atmosphère orageuse
Mais ne s’attendait pas à un tel ouragan

Maintenant qu’est détruit son frêle logement
Il enfile sans perdre de temps sa vareuse
Pour sauver son navire de la mer houleuse
L’amarrage pourrait lâcher à tout moment

Sur le ponton il est confronté au carnage
Des épaves sont échouées sur le rivage
Au milieu d’elles se trouve son vieux bateau

Une yole orange et bleue qu’il tient de son père
Ses ascendants ont connu bien d’autres galères
Si Dieu le veut il pourra la remettre à l’eau

Satan m’habite

153

Noël c’est la fête, les cadeaux, la famille,
La messe de minuit où l’on reprend en chœur,
Qu’un dénommé Jésus est venu en sauveur,
J’y allais à l’époque où je jouais aux billes.

Mais déjà mon salut je le devais aux filles,
Si le libérateur était l’une des leurs,
Je serais à coup sûr un croyant plein d’ardeur,
Toujours au premier rang devant ses bas résilles.

J’aurais au fond des poches, au bout d’un chapelet,
Un petit crucifix que je caresserais.
Certains lecteurs vont dirent que « Satan m’habite ».

Écrit différemment, j’avoue qu’ils n’ont pas tort,
Orthographié ainsi, je ne suis pas d’accord
Car le rire c’est Dieu qui fait une visite.

Le renard et le chien de chasse

 

arton398

Bruno Liljefors, Le chien de chasse et le renard, 1885

Un renard a tendu un piège à un lapin,
Pour l’attirer il s’est déguisé en lapine.
À en faire son déjeuner il le destine,
Nous allons voir qu’il va en rester sur sa faim.

Le prédateur présente son arrière-train,
Dans une posture on ne peut plus libertine
De quoi faire se dresser d’une proie la pine ;
Le premier mâle de passage a le gourdin.

L’affamé Goupil reçoit le vent dans la face,
Aussi ne sent-il pas l’odeur du chien de chasse
Qui croit voir le dos femelle Bichon.

Celui-ci excité le prend jusqu’à la garde
À la manière d’un comédien de film hard,
« Tel est pris qui croyait prendre » dit le dicton!

Espérer de la mort

the-poor-poet-1837

Peinture de Carl Spitzweg (1808-1885)

Je sais que je n’ai pas le talent de Rimbaud
Avant je crois que j’en tenais compte
Désormais j’écris sans aucune honte
Peu m’importe que je passe pour un charlot

Que dans le journal il n’y ai pas ma photo
L’important c’est qu’en moi l’envie de vivre monte
Terrassant au moins pour un temps le mastodonte
Le désespoir on ne le met jamais KO

Il a vu le jour en même temps que nous-même
Pour le combattre nous avons ce stratagème
Mais il arrive parfois qu’il soit le plus fort

Son mode opératoire se nomme suicide
Voilà une conclusion un peu trop rapide
Se tuer n’est-ce pas espérer de la mort ?