368. Prosper DIVAY

pour que nous frôle la beauté de vivre
il suffit d’être attentif
à ce qui ne déborde pas du jardin
petits bruits odeurs d’herbe
merle qui joue
avec l’œil du chat
comme avec le feu

venu de loin le vent
replie l’ailleurs sur l’ici
dans une même transparence
qui dure sans trembler
comme l’eau dans le verre

à ceux qui passent
un salut silencieux
et merci de ne rien emporter

***

Jean-François Mathé (né en 1950) – Le temps par moments (1999)

Encore un poème qui tombe à pic comme l’homme d’une ancienne série Tv. Hier, je me suis rendu chez un de ces poètes qui trouvent la beauté où on ne l’attends pas toujours. Là, c’était chez son voisin paysan qui n’avait plus qu’une vache et qui a été contraint de la faire abattre étant devenue douloureuse à force d’être veille. En une dizaine de clichés, quelques commentaires et un choix musical particulièrement judicieux, il nous fait vivre toute l’émotion de ce moment assez banal au premier abord. Il nous montre ce que nous ne voyons pas, parce que nous ne sommes pas suffisamment attentifs aux petites choses dont parle justement ce poème. L’expression d’un visage, une manière de porter sa tête, de se tenir assis… et l’émotion apparaît, nous réalisons qu’il se joue un drame pour cet homme, qu’une fois l’animal dans la remorque qui l’emmène à l’abattoir, plus rien ne sera pour lui comme avant. C’est beau comme une peinture de Manet représentant une scène de la vie paysanne sauf que ça n’est pas de la peinture, ça n’est même pas seulement de la photographie, c’est de la photographie accompagnée de mots sur de la musique. Un autre diaporama portait sur des photographies de pierres qui se trouvent dans une carrière à quelques coups de pédales de chez lui. Prosper y est allé pendant plus de trente ans à dénicher des merveilles d’images, s’y rendant, selon la lumière, parfois plusieurs fois dans la journée. Les pierres en question étaient destinées à servir de soubassement aux routes, son talent de photographe nous les a rendu précieuses. Il ne peut plus maintenant aller les photographier à cause de ses 92 ans. Pas grave, « Je ne m’emmerde jamais » m’a t’il dit car il continue à faire des montages avec ses images d’archives qu’il a par milliers.

Je me suis intéressé à Prosper DIVAY, parce qu’un de ses petits-fils qui connaissait mon goût pour la poésie m’a prêté un de ses diaporamas qu’il a consacré à René Guy Cadou. Prosper est un fervent amateur de son œuvre. J’ai mis quinze jour avant de le mettre dans le lecteur DVD, pas du tout emballé par son visionnage (le mot diaporama était jusqu’alors synonyme d’ennui), je l’ai regardé la veille de le rendre, un peu avec le sentiment de l’obligation par rapport à la personne qui me l’avait confié, décidé à faire du repassage par la même occasion pour ne pas gaspiller mon temps. J’ai eu vite fait de laisser le linge pour profiter pleinement du travail du poète, j’ai fini par le repasser trois fois (le diaporama, pas le linge !) en faisant des retours lents avec la télécommande à certains moment car je n’étais pas assez rapide pour prendre note de ce qui m’intéressait. Le truc qui m’a fait décrocher mon téléphone pour lui proposer de nous rencontrer, c’est ces vers de René-Guy Cadou qu’il a mis en exergue de sa composition textuelle, visuelle et musicale;

A genoux dans le lit boueux de la journée
Je racle le sol de mes deux mains
Comme les chercheurs de beauté

J’étais, l’après-midi même, après deux heures de bus, chez lui. Nous n’avons pas beaucoup parlé, quelques mots sur la poésie et ses poètes préférés, Guillevic, René Guy Cadou, Gilles Supervielle… et il m’a proposé de nous installer devant son écran pour voir une partie de son œuvre. Il a fait plusieurs diaporama, je ne saurais dire combien, il semblait en avoir une dizaine dans la pile qu’il a posée à coté de sa télévision. Je garde particulièrement en tête l’ultime qu’il m’a présenté. Il s’était rendu à proximité d’une forêt que le feu ravageait. Les premières images sont celles de flammes qui dévorent la végétation. Une épaisse fumée noire s’en dégage. C’est le seul moment dépourvu de musique de tous les diaporamas que j’ai visionné dans l’après-midi. La gravité a soudainement envahie la pièce, les images du carnage ont défilés dans le silence. Après ce long moment, son commentaire de la vision d’un arbre se consumant sous ses yeux;

« Je fus témoin de sa mort. Ce n’était pas un arbre qui mourait. Sur son visage je lus le dernier spasme de souffrance. Croyez-moi ou non, c’est un être humain qui s’éteignait. J’en fut tout bouleversé »

Les clichés qui ont suivis sont ceux qu’il a pris d’un de ces arbres quelques mois plus tard. Une petite musique, légère comme le printemps, les accompagne. Il s’agissait de gros plans sur un tronc carbonisé. Il était d’un noir brillant, d’un noir éclatant, étincelant même, d’où sortait deux minuscules pouces de fougères d’un vert très tendre. Je crois qu’il a appelé ce chapitre « résurrection ». Il m’a confié avant que je ne parte que sa sensibilité à la beauté allait s’accroissant.

Qu’il est bon de passer une après-midi en poésie!

D’après un texte rédigé en juillet 2014 en commentaire du poème de Jean-François Mathé publié ici;

Jean-François Mathé – Pour que nous frôle la beauté de vivre…

4 réflexions sur “368. Prosper DIVAY

  1. et qu’il est bon de lire de tels témoignages, cette présence à la terre, cet effervescence des sens à l’écoute de l’instant, de la beauté infime. merci pour cette rencontre, cette humanité si belle dans son authenticité. C’est réjouissant et tendre

    J’aime

  2. Merveille du Regard témoin en l’Innocence de la Vie,
    Émotion suspendue au cœur de l’Humain, quelle Beauté
    Ce cœur, ce cœur, Ah, des trésors infinis
    Le Toucher du Poète est moment d’extase, balbutiante sincérité?

    Merci Vincent, merci à ces milliers de Jardins embaumés.
    Merci à Celui qui invite à cet émoi.
    Merci au Grand Poète Roi.

    Aimé par 1 personne

  3. Pour bâtir un garage.

    Le tracto-pelle est venu.
    Son godet a levé au ciel le prunier.
    Ses feuilles ont frissonné.
    L’ostenstion d’un vieil ami.
    Je crois qu’il m’a fait signe du bout d’une branche, avant de s’abattre sur le camion de chantier.
    Le garage est là.
    Avec une belle Alfa Bertone.
    Mais il manque le prunier.
    Qu’il me pardonne.

    J’aime

  4. A reblogué ceci sur Comme un cheveu et a ajouté:

    Je viens d’apprendre la mort de Prosper Divay, un poète dont j’ai fais la rencontre il y à trois ans, il avait alors 92 ans. J’avais écrit un article pour l’occasion. Je le republie aujourd’hui, ma manière de lui rendre hommage. J’espère dans ma vie faire encore beaucoup de rencontres aussi belles. Toute mon amitié à Guillaume.

    J’aime

Laisser un commentaire